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Le Retour de L’instabilité Estivale

Comme le veut la tradition établie de longue date sur les marchés financiers, le mois d’août a connu une hausse des niveaux de stress, exacerbés par l’absence de certains participants, une liquidité plus faible et une volatilité accrue. Si certaines années ont épargné ces inquiétudes aux investisseurs, 2024 entrera dans les annales comme une année émaillée de surprises qui ont pris au dépourvu les investisseurs comme les gestionnaires de fonds. Cela étant, même les surprises peuvent contenir des éléments qui auraient dû et auraient pu être anticipés ou, du moins, que les investisseurs expérimentés auraient pu identifier comme de potentiels signaux d’alarme.

Cette instabilité mondiale au mois d’août s’explique par la faiblesse inattendue des données hebdomadaires sur l’emploi aux États-Unis qui ont laissé entrevoir un possible ralentissement économique, scénario qui a clairement relégué les tensions inflationnistes des deux dernières années au second plan des préoccupations du marché. Ces données ont été publiées dans un contexte de résultats trimestriels en demi-teinte aux États-Unis, où la réaction des cours des actions a été, dans certains cas, impitoyable face à cette déception. La Réserve fédérale a rapidement fait figure de bouc émissaire, accusée d’avoir une fois de plus une longueur de retard sur d’autres banques centrales déjà engagées dans un programme de baisse des taux d’intérêt.

Les marchés n’ont pas tardé à réagir, poussant la jauge de la volatilité (ou de la peur) vers de nouveaux sommets, sur fond de fortes fluctuations des cours des actions, parfois violemment exacerbées par le dénouement des opérations de portage qui a, comme souvent, enfoncé le clou. Cette tempête internationale a notamment pris forme autour d’un coupable inattendu : le yen japonais.

Les deux dernières années ont été marquées par des préoccupations sur les marchés financiers. Alors que les taux d’inflation avaient commencé à s’atténuer pour plusieurs raisons, les commentateurs, les observateurs et, dans une large mesure, les experts étaient nombreux à prendre le contre-pied des constats et prédictions des marchés obligataires et des autres marchés. Aujourd’hui, nombre de ces acteurs se sont tus, les banques centrales de différentes régions plus ou moins importantes sur le plan financier ayant ouvert un cycle d’assouplissement monétaire, le plus souvent au moyen de politiques monétaristes, mais parfois aussi par le biais de politiques de change. C’est cette seconde option qu’a choisie le Japon.

Depuis des décennies, le Japon est considéré tout autant comme un pays au bord de l’implosion déflationniste que comme un bastion de stabilité et de solidité. Par temps difficiles, le yen japonais a toujours été considéré comme l’une des meilleures valeurs refuges, malgré des taux d’intérêt obstinément bas (ce qui réfute l’argument voulant que la valeur externe d’une devise dépende en grande partie de ses taux d’intérêt par rapport à ceux d’autres devises). En règle générale, les instabilités conduisaient à une appréciation du yen, d’autant que le Japon, en raison de la prépondérance des exportations dans son économie, ne pouvait s’engager dans la dynamique de marché haussier observée ailleurs.

Cette fois, cependant, rien ne s’est passé comme prévu. La montée des tensions a entraîné une dépréciation de la devise nippone, ce qui a désavantagé les pays concurrents (comme la Chine). Elle a également relancé les opérations de portage, dans lesquelles les pays à taux d’intérêt bas sont utilisés pour financer la spéculation sur d’autres devises à plus haut rendement. Traditionnellement, les opérations de portage en yen étaient attribuées à des investisseurs particuliers peu expérimentés (surnommés « Mme Watanabe »), qui cherchaient à obtenir un rendement supérieur à celui qu’il était possible d’obtenir au Japon. Cependant, la vague la plus récente a vu les acteurs internationaux recourir eux aussi à cet instrument pour bénéficier de différentes dynamiques, la plus importante étant la ruée visant à bénéficier de la hausse incessante des prix des actions des « Sept Magnifiques » sur le marché boursier américain. Le peso mexicain et certaines devises choisies avec soins parmi les marchés émergents asiatiques ont également été concernés. Comme d’habitude, les fonds spéculatifs ont été fortement représentés et ont eux aussi fait les frais des appels de marge, inévitables en période de difficultés, et pouvant effacer les bénéfices d’une année entière. La flambée de la volatilité qui en a résulté s’est traduite par une hausse du risque perçu par les investisseurs, selon ceux qui assimilent la volatilité au risque (ce qui n’est pas notre cas).

Lorsque la Banque du Japon a relevé son taux d’intérêt directeur à la fin du mois de juillet pour la deuxième fois en quatre mois (en mars, c’était la première fois en 17 ans), la monnaie japonaise s’est retournée et sa valeur extérieure a subi le contrecoup du dénouement des opérations de carry trade. La bourse de Tokyo a alors perdu 12 % de sa valeur en une seule séance. La dernière fois qu’un tel événement s’est produit, voilà environ 35 ans, le marché boursier s’est effondré. C’est bien ce qu’il s’est passé le 5 août 2024. (Les plus anciens d’entre nous se souviendront d’une situation similaire en 1987, lorsque la Bundesbank, exerçant les prérogatives qui étaient alors les siennes, avait procédé à un resserrement monétaire inattendu. Les causes et les effets de cet épisode étaient les mêmes que ceux à l’œuvre aujourd’hui.)

L’année 2024 a été marquée par une dynamique remarquable des cours des actions, le plus souvent dans le secteur de l’intelligence artificielle, dont les promesses perçues pour l’avenir sont immenses. Comme dans tous les épisodes de hausse des cours des actions, les risques ont été éclipsés par les attentes en matière de rendements, fondées sur des dépenses d’investissement démesurées, mais dont les retombées ne peuvent être attendues qu’à long terme, si tant est qu’elles se concrétisent. En parallèle, les rares acteurs de premier plan dans le secteur de l’IA occupent une position dominante sur le marché qui est l’origine même de leur vulnérabilité. La peur ayant supplanté l’appât du gain sur le marché, les fortes fluctuations des cours des actions ont mis fin aux naïves espérances des investisseurs qui anticipaient une hausse indéfinie des cours. À son apogée, la capitalisation boursière des « Sept Magnifiques » a représenté plus de la moitié de la valeur du produit intérieur brut des États-Unis. En fin de compte, il a suffi qu’Intel annonce la suppression de dix pour cent de ses effectifs pour que l’humeur change du jour au lendemain.

La combinaison de taux d’inflation internationaux modérés et en baisse, et des anticipations correspondantes, a provoqué une instabilité sur les marchés boursiers, incitant les investisseurs à se tourner vers la sécurité des marchés obligataires, en particulier, une fois de plus, aux États-Unis. Il en est résulté une décorrélation inhabituelle à court terme des prix des actions et des obligations, entièrement attribuable aux tensions accrues et à la volatilité des cours des actions. Cela soulève toutefois des questions de fond sur ce que l’avenir réserve aux investisseurs, et pour quelles raisons.

Lorsque les investisseurs ont cherché à désigner un coupable pour leurs pertes, toutes les suspicions se sont soudain tournées vers la Réserve fédérale. D’après de nombreux observateurs, la Fed accuse une indéniable longueur de retard et aurait dû assouplir sa politique monétaire depuis un certain temps, et devrait même envisager une réduction en urgence de ses taux pour calmer les nerfs des investisseurs. La Fed ayant évoqué une orientation accommodante de sa politique monétaire, il est possible que les premières baisses de taux aient lieu en septembre et soient suivies par d’autres réductions en fin d’année.

Le comportement des marchés obligataires est, comme d’habitude, d’autant plus important. Pour ceux qui croient en la corrélation à long terme entre les prix des actions et des obligations, et qui reconnaissent que les effets de la hausse des taux d’intérêt de l’an passé ont mis du temps à produire leurs effets sur l’économie, une page importante de la politique des banques centrales vient d’être tournée. En outre, la masse monétaire américaine a récemment répliqué les chiffres de l’inflation, renforçant l’impression que la désinflation est de retour et que la perception d’une inflation persistante est désormais infondée. La Chine en offre un exemple. Le pays est désormais aux prises avec la déflation et la chute des rendements obligataires, le Parti communiste chinois s’ingérant dans les programmes d’investissement des banques locales, les incitant à acheter des obligations chinoises à court terme pour éviter une inversion de la courbe des rendements.

Mais tandis que le mois d’août s’écoule, l’instabilité liée aux opérations de portage s’est apaisée, cédant la place à de nouvelles hausses des cours des actions. Un soupçon de calme est revenu après ce qui a pu être simplement une tempête dans un verre d’eau.

Cependant, la situation géopolitique mondiale s’est dégradée. Les commentateurs baissiers, s’appuyant sur les tensions au Moyen-Orient, évoquent un recul de la mondialisation, des difficultés dans les chaînes d’approvisionnement, la hausse des prix du pétrole et, bien entendu, un risque accru d’une guerre ouverte entre les superpuissances. Dans l’hypothèse d’un conflit à part entière au Moyen-Orient, sa gravité et sa durée auront nécessairement un impact sur le marché pétrolier. Cette donnée est inconnue. En parallèle, le prix du pétrole a néanmoins chuté à des niveaux observés pour la dernière fois en janvier 2024.

Au milieu de ce tableau géopolitique et macroéconomique peu lisible, l’intelligence artificielle a continué d’influencer les investisseurs cette année. L’envolée du cours des actions de ces sociétés a relégué au second plan les critères d’investissement à long terme, sans plus tenir compte des qualités des entreprises traditionnellement saines et en croissance, notamment celles portant le label « quality growth ». Par moments, les craintes relatives aux taux d’inflation intégrés à venir se sont traduites par des taux d’intérêt et des rendements obligataires « plus élevés pendant plus longtemps ». Cela a parfois obscurci les perspectives, par ailleurs claires et saines, d’entreprises bénéficiant depuis longtemps d’une position exceptionnelle sur leur marché. Il est donc temps de revenir aux fondamentaux.

Les Dix règles d’or de l’investissement « quality growth », souvent décrites en détail dans nos newsletters, permettent de contenir des risques par ailleurs non quantifiables pour les investisseurs sur les marchés financiers. C’est en grande partie le cas parce que ces investisseurs se concentrent sur l’entreprise concernée, sans se préoccuper réellement du cours de son action. Les résultats attendus sont atteints, à savoir que l’activité de l’entreprise génère des bénéfices prévisibles qui, à leur tour, font grimper les cours des actions. Or, cela est difficile à évaluer pour des sociétés dont le cours des actions est porté par des dynamiques d’achat, indépendamment de leurs perspectives à long terme. La prévision des bénéfices des sociétés présentes dans le domaine pour l’essentiel émergent de l’intelligence artificielle ne peut pas constituer le cadre de réflexion principal et fiable permettant d’évaluer le risque. Le long terme revêt moins d’importance dans l’esprit des investisseurs dont l’horizon temporel est non seulement court, mais de surcroît pratiquement infondé.

Le contexte d’investissement quelque peu biaisé qui prévaut en 2024 aurait pu conduire de nombreux acteurs à laisser de côté les actions des sociétés « quality growth ». Mais cela ne s’applique pas aux investisseurs dont l’horizon temporel est illimité et dont les convictions mettent l’accent sur les facteurs de risque réels pour une entreprise, et sur sa valeur réelle.

Comme nous le soulignons depuis longtemps, la capacité des sociétés « quality growth » à poursuivre leur croissance constitue l’opportunité à long terme que les investisseurs sérieux continueront à reconnaître et qu’ils veilleront à saisir.

P. Seilern

19 août 2024


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